Nos microbiotes : des amis très intimes à chouchouter
Après de longues décennies à lutter contre les organismes pathogènes extérieurs (avec les antibiotiques, vaccins, règles d’hygiène…), la recherche a mis en évidence que les très nombreux micro-organismes qui nous entourent et qui peuplent notre organisme ne sont pas forcément néfastes et qu’ils vivent en symbiose avec nous.
Ils sont même essentiels à notre vie !
De quoi se compose chaque microbiote ?
Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes bactéries, virus, parasites, champignons non pathogènes, dits commensaux[1]) qui vivent dans un environnement spécifique.
Dans l’organisme, il existe différents microbiotes, au niveau de la peau, de la bouche, du vagin… Le microbiote intestinal est le plus important d’entre eux, avec 1012 à 1014 micro-organismes : 2 à 10 fois plus que le nombre de cellules qui constituent notre corps, pour un poids de 1 à 2 kilos.
Le microbiote intestinal est propre à chaque individu. Une partie (entre la moitié et le tiers des espèces de bactéries retrouvées) serait communément retrouvée d’un individu à l’autre. Les autres constitueraient un code barre ou une empreinte individuelle caractéristique de chacun !
[1] Micro-organisme commensal qui est l’hôte habituel d’un organisme sans lui causer de dommage.
De quoi se compose ce microbiote intestinal et comment se constitue-t-il?
La colonisation de l’organisme se fait progressivement dès la naissance, au contact de la flore vaginale lors d’un accouchement par voie basse et au contact des micro-organismes de l’environnement pour ceux nés par césarienne.
La génétique, le niveau d’hygiène, la prise de traitement médicamenteux, le type de diversification alimentaire et l’environnement dans lequel grandit l’enfant vont influencer la composition de son microbiote intestinal.
Il est organisé comme une société hiérarchisée, avec des espèces bactériennes dominantes (c’est-à-dire plus nombreuses car sans doute mieux adaptées à l’environnement digestif) comprenant notamment les genres Clostridium, Bacteroides et Bifidobacterium. D’autres espèces sont dites sous-dominantes car moins nombreuses, leurs tailles de populations sont variables, notamment en fonction de l’alimentation. Comme pour les groupes sanguins, les individus possèdent des « entérotypes » : véritables « signatures bactériennes intestinales ». Au nombre de trois principalement, ils se définissent par l’abondance de certains types bactériens. Ils sont spécifiques de chaque individu et indépendants de l’origine géographique, de l’âge et de l’état de santé de l’individu.
Une étude préliminaire [2] montre que la composition du microbiote diffère en fonction de la consommation de certains groupes d’aliments. En fonction des habitudes de consommation des protéines animales et des produits laitiers, il est possible d’identifier des populations d’espèces bactériennes différentes.
[2] M. Torres « Groupes alimentaires et composition du microbiote intestinal chez des adultes français issus de la population générale: étude préliminaire » Nutrition clinique et métabolisme 2017
A quoi sert ce microbiote intestinal ?
Les micro-organismes qui composent le microbiote intestinal assurent un rôle direct dans la digestion :
- Ils assurent la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non digestibles
- Ils facilitent l’assimilation des nutriments grâce à un ensemble d’enzymes dont l’organisme n’est pas pourvu
- Ils assurent l’hydrolyse de l’amidon, de la cellulose, des polysaccharides
- Ils participent à la synthèse de certaines vitamines (vitamines K, B12, B8)
- Ils régulent plusieurs voies métaboliques : absorption des acides gras, du calcium, du magnésium…
Petites notes sur le système digestif :
Le système digestif comprend le tube digestif parcouru par le bol alimentaire (cavité buccale, pharynx, œsophage, estomac, intestin grêle et gros intestin ou côlon) et les organes dont les actions métaboliques et les sécrétions jouent un rôle dans la digestion (foie, pancréas et appareil vésiculaire). Une des grandes particularités de ce tube digestif est son immense surface d’échange avec le milieu extérieur. En effet, la superficie de la muqueuse digestive peut être assimilée à celle de deux terrains de tennis soit près de 400 m2. Cette très large surface permet de nombreux échanges entre le contenu intestinal et les cellules en contact avec ce contenu. Elle permet en particulier le passage des nutriments dans le sang.
Au-delà de leur fonction dans la digestion des aliments, les micro-organismes font partie intégrante de la paroi intestinale et agissent sur l’épithélium [3] intestinal. Cette place leur confère un rôle déterminant sur le fonctionnement du système immunitaire intestinal. Ces bactéries, nichées tout au long de notre tube digestif, sont l’interface clef de nos cellules intestinales avec l’aliment, mais également avec les antibiotiques et les pathogènes.
Les fonctions de ce microbiote intestinal étant si importantes, il est aisé d’imaginer qu’un dysfonctionnent puisse entraîner des troubles sur la santé. En effet, il peut être mis en évidence des cas de mauvais fonctionnement du microbiote nommé dysbiose.
[3] Tissu formant la barrière avec le contenu du tube digestif.
Qu’est ce qu’une dysbiose et quel est son impact sur la santé ?
La dysbiose est déterminée par une altération qualitative et fonctionnelle du microbiote intestinal.
Cette dysbiose entrainerait des modifications de réponse à des stimuli inflammatoires entrainant des réactions inflammatoires chroniques et modifiant la perméabilité épithéliale. La muqueuse intestinale perd alors son étanchéité et pourrait laisser passer des bactéries entières.
Le diabète et l’obésité ont une origine multifactorielle, à la fois génétique, nutritionnelle et environnementale. Bien que la part respective de chacun de ces facteurs est variable d’un individu à l’autre et que les mécanismes moléculaires incriminant chacun d’entre eux restent à décrire, il est connu que ces maladies métaboliques sont caractérisées par une inflammation chronique dans laquelle le microbiote est impliqué.
Des travaux récents [4] viennent de montrer chez la souris, que la composition du microbiote intestinal peut prédire la façon dont l’organisme va répondre à une alimentation déséquilibrée, rendant l’animal plus à risque de devenir obèse, ou de développer des affections comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires.
Par ailleurs, d’autres travaux de recherche [5] montrent que l’altération du microbiote, après un régime gras, n’est pas toujours néfaste. Dans la mesure où la barrière intestinale est intacte et le système immunitaire fonctionnel, un microbiote altéré peut même protéger contre les effets délétères d’un régime gras.
[4] Marc E Dumas « Microbial-host co-metabolites are prodromal markers predicting phenotypic heterogeneity in behaviour, obesity, and impaired glucose tolerance », Cell Report-Jul 2017
[5] S. Nicolas “Transfer of dysbiotic gut microbiota has beneficial effects on host liver metabolism.” Molecular Systems Biology 2017
Ce microbiote intestinal a-t-il un lien avec le cerveau ? pourquoi parle t-on de deuxième cerveau à propos de l’intestin ?
Les cellules nerveuses sont largement présentes au sein de la paroi intestinale composant le tube digestif. Il est avancé le chiffre de 200 millions de neurones qui constitue le système nerveux entérique [6] . Ces cellules permettent en particulier la motricité intestinale, c’est-à-dire la commande musculaire permettant l’avancée du contenu digestif vers l’anus.
En outre, 80% de ces cellules sont capables de véhiculer l’information dans le sens intestin-cerveau. C’est pourquoi ce système nerveux entérique est appelé deuxième cerveau.
Bien que la communication entre le cerveau et l’intestin ait été identifiée depuis la moitié du 19ème siècle, l’importance des micro-organismes dans le développement des fonctions du système nerveux central (SNC) et les maladies neuropsychiatriques n’a été mis en évidence que depuis peu de temps. En effet, l’existence de désordre dans la composition et la quantité de micro-organismes dans l’intestin peut affecter à la fois le système nerveux entérique et le SNC, ce qui semble indiquer l’existence d’un axe microbiote-intestin-cerveau [7].
[6] Qui a rapport aux intestins.
[7] X Zhu « Microbiota-gut-brain axis and the central nervous system » Oncotarget 2017
L'axe intestin-microbiote-cerveau
La partie centrale montre la relation bidirectionnelle entre le cerveau et l’intestin.
La partie gauche de la figure montre les modes de communication impliquées dans les échanges entre le cerveau et l’intestin et l’hypothétique influence des prébiotique et probiotiques dans les certaines maladies humaines.
La partie droite montre les conséquences d’un équilibre intestinal et d’une dysbiose [9]. Une dysbiose intestinale peut défavorablement influencer la physiologie de l’intestin conduisant à des signaux inappropriés entre l’intestin et le cerveau pouvant entraîner des modifications des fonctions du SNC [10] et des maladies.
- Abbreviations: Non-Alcoholic Fatty Liver Disease (NAFLD),
- Inflammatory Bowel Disease (IBD), Attention deficit hyperactivity disorder (AD Tomás Cerdó « Probiotic, Prebiotic, and Brain Development » Nutrients 2017
Par exemple, il a été mis en évidence [11] chez des animaux, que 20 minutes après le repas, des bactéries intestinales sécrètent des protéines entrainant la fin de la prise alimentaire. Ces protéines injectées dans le cerveau de rongeurs réduiraient leur appétit. Cette découverte indiquerait que les bactéries intestinales envoient des messages de satiété et pourraient décider à quel moment nous avons faim.
Très récemment, il a été montré également que certaines bactéries avaient la capacité de produire un neurotransmetteur (le GABA) qui grâce à sa liaison avec un lipide, passe la barrière intestinale, agit sur les neurones sensitifs situés au niveau du ventre et réduit la douleur viscérale. Ces travaux ciblent en particulier les douleurs liées au syndrome de l’intestin irritable [12].
[9] Déséquilibre du microbiote intestinal
[10] Système Nerveux Central
[11] Jonathan Breton « Gut Commensal E.coli Proteins Activate Host Satiety Pathways Following Nutrient-Induced Bacterial Growth » Cell metabolism 2015
[12] Teresa Pérez-Berezo « Identification of an analgesic lipopeptide produced by the probiotic Escherichia coli strain Nissle 1917 » Nature communication 2017
Schéma : Tomás Cerdó « Probiotic, Prebiotic, and Brain Development » Nutrients 2017
Comment entretenir son microbiote? Qu’est-ce qu’un probiotique, un prébiotique ?
Une dysbiose (déséquilibre de microbiote) peut être à l’origine de certaines formes d’allergies, diarrhées et maladies digestives. Agir sur la composition de son microbiote, peut améliorer le confort digestif et renforcer ses défenses naturelles.
Voici 6 pistes thérapeutiques pour modifier la composition du microbiote :
- Une alimentation favorisant le développement des bactéries bénéfiques pour le système digestif. Les fibres, ces longues chaînes polysaccharidiques que l’on trouve en abondance dans les légumes frais ou secs, les fruits et les céréales, sont le fuel du microbiote. Des chercheurs de l’INRA [13] ont montré que plus l’apport en fibres est grand et plus la diversité et le nombre d’espèces de bactéries sont importants.
- L’apport par voie orale de probiotiques. Le terme de probiotique se définit comme un ensemble de micro-organismes vivants, non pathogènes et ayant démontrés un bénéfice pour la santé de l’hôte lorsqu’ils sont consommés en quantités adéquates.
- L’apport de prébiotiques. Il s’agit d’un ingrédient alimentaire non digestible qui stimule de manière sélective au niveau du côlon, la multiplication ou l’activité d’un ou d’un nombre limité de groupes bactériens susceptibles d’améliorer la physiologie de l’hôte. Il s’agit surtout de glucides provenant de la chicorée comme l’inuline et l’oligofructose.
- Les symbiotiques qui combinent pré et probiotiques.
- Un traitement antibiotique ciblant les espèces néfastes impliquées dans la physiopathologie de la maladie. Cette option ne peut cependant être envisagées comme un traitement chronique du fait de la pression de sélection qu’elle peut engendrer ; elle pourrait aussi induire de nouvelles pathologies.
- La transplantation fécale qui consiste à administrer une suspension bactérienne préparée à partir des selles d’un individu sain par sonde nasogastrique ou par lavement. Elle permet d’implanter un microbiote normal chez un patient malade.