Cyberdépendance : un problème réel ?

La cyberaddiction est une notion complexe et sa compréhension rencontre plusieurs écueils, car l’utilisation de nouvelles technologies, même de façon intensive, n’est pas pathologique en soi. En matière d’addiction, ce n’est pas tant la substance qui pose le problème de dépendance, mais la relation à celle-ci. Ainsi, il est important de distinguer une utilisation obsessive d’une utilisation harmonieuse qui s’intègre dans le quotidien.

Le critère obsessif apparaît lorsque la cyber-activité est survalorisée par rapport à la réalité et que l’utilisateur éprouve une envie incontrôlable de s’y engager (1). En revanche, en cas d’utilisation harmonieuse du virtuel, l’utilisateur reste libre et continue à y éprouver du plaisir. Plaisir qui s’étiole dans le cadre d’une dépendance où les retentissements sur la vie conjugale, sociale ou encore familiale s’enchaînent (2). Or, avec l’arrivée de la Covid-19, les cyber-activités prennent de plus en plus de place dans nos vies. Quels liens entretient-on avec le virtuel ? Comment l’estimer ? Peut-on y devenir dépendant et, si oui, quelles sont les pistes à privilégier pour apprendre à décrocher ?

L’excès de digital : un problème réel ?

Bien que ce phénomène puisse paraître léger aux yeux de certains en raison de la virtualité, la réalité de la cyberdépendance n’est plus à discuter tant ses conséquences sur la vie réelle sont importantes : fatigue, difficultés de concentration, mensonge ou encore isolement. Même virtuel, la répétition d’un usage ou d’une activité peut conduire à l’addiction (3). Le terme d’addiction s’est progressivement substitué à celui de toxicomanie et tire son origine du latin ad-dicere (dire à) qui exprime une appartenance en termes d’esclavage.  Aussi, la particularité d’une cyberdépendance est qu’elle peut concerner le média en lui-même (smartphone, ordinateur, etc.) comme les activités que l’on peut y pratiquer (jeux en ligne, bourse, etc.)

Qui sont les plus touchés ?

D’après l’OMS*, ce sont les individus jeunes et de sexe masculin qui sont les plus concernés par l’addiction aux jeux-vidéos**. Cependant, si la dépendance a trait aux jeux d’argent, la moyenne d’âge augmente progressivement jusqu’à toucher la classe des ‘séniors’***. Ainsi, la population dépendante au virtuel ne constitue pas un groupe homogène, car la cyberdépendance est corrélée à la précocité de l’utilisation d’un média, mais aussi à son degré de maîtrise (4). En parallèle, hommes et femmes semblent présenter des profils de cyberaddiction différents. Chez la gente masculine, ce sont davantage les jeux en ligne, les jeux d’argent et la pornographie qui ressortent, alors que la cyberdépendance féminine se caractérise davantage par des achats compulsifs ou par les réseaux sociaux (5).

*OMS : Organisation Mondiale de la Santé

**D’après le bulletin de l’OMS « Mieux cerner le trouble du jeu vidéo » de juin 2019

*** D’après la revue de Loriane Benchebra intitulée « Addiction aux jeux (d’argent et vidéo) et état de santé des joueurs : une revue critique et systématique de la littérature ». Année 2018.

Comment s’exprime une cyberdépendance ?

Il n’y a pas qu’un seul symptôme qui se dégage d’un cyber-désordre, mais une série de comportements et de troubles associés comme l’irritabilité et la fatigue qui témoignent d’une perte de contrôle de l’utilisateur. Aussi, la cyber-activité occupe une place de plus en plus importante au détriment d’activités réelles engendrant une sensation de vide lors de la déconnexion. Aussi, à l’instar d’autres drogues, une tolérance physique et psychologique apparaît peu à peu. Cela pousse l’utilisateur à devoir consacrer davantage de temps à sa cyber-activité pour y savourer le même plaisir en donnant naissance à un cercle vicieux (6). Enfin, les mensonges et le déni sont fréquents dans le cadre d’une cyberdépendance. Il n’est pas rare qu’un cyberdépendant refuse de l’aide ou refuse d’admettre sa dépendance aux jeux d’argent.

Comment estimer sa consommation digitale ?

La consommation ou le rapport au digital est difficile à estimer, mais plusieurs questions aident à mettre la puce à l’oreille, comme par exemple :

  • Passez-vous plus de temps connecté sur Internet que nécessaire ?
  • Avez-vous du mal à limiter le temps passé sur votre smartphone ?
  • Est-ce envisageable de ne pas vous connecter pendant plusieurs jours ?
  • Existe-t-il des sites particuliers que vous trouvez difficile à éviter ?
  • Éprouvez-vous de la difficulté à contrôler l’impulsion d’acheter des produits ou des services proposés sur Internet ?
  • Avez-vous, sans succès, essayé de diminuer le temps passé sur Internet ?
  • Est-ce envisageable de partir en vacances sans votre smartphone ?

Ainsi, si vous avez répondu par l’affirmative à moins de deux questions, vous avez peu de chance de développer une dépendance à Internet. En revanche, si vous avez répondu « oui » à plus de trois questions, il devient intéressant de faire le point sur sa cyberconsommation avec l’aide de son médecin par exemple (7).

Comment réagir face à une cyberdépendance et comment prendre du recul ?

Une prise de conscience suivie d’un effort d’autodiscipline pour restreindre l’utilisation pourront être suffisants à régler le problème pour certains. Pour d’autres, un suivi et un soutien psychologique seront nécessaires surtout dans les premiers moments. Dans tous les cas, observer son ressenti et ses comportements en lien avec le virtuel constitueront un point de départ et peuvent amener à une prise de conscience pour rectifier le tir. Afin d’être efficace, l’observation doit se porter sur la fréquence et la durée, sans oublier le contexte de la cyber-activité (8).

Des pistes pour réduire sa cyberdépendance ?

Un premier levier consiste à adopter des comportements opposés. Par exemple, pour les personnes se connectant au saut du lit, cela consistera à se forcer à prendre son petit-déjeuner puis à se doucher avant d’utiliser son smartphone ou son ordinateur. À l’image de la sonnerie de fin de récréation, il est également possible de mettre en place des alarmes externes pour borner son temps de connexion. Dans tous les cas, viser un objectif réaliste et atteignable est primordial pour ne pas baisser les bras en cours de route en concevant un plan d’action allant crescendo (9).

Télétravail et digital : quand dire non ?

Les ordonnances ‘loi travail’ de 2017 ont ouvert la voie à l’élargissement de la pratique du télétravail jusqu’alors peu populaire en France. Concernant à peine un quart des salariés en 2017, il s’est soudainement invité dans la vie des Français depuis la pandémie avec son lot d’avantages et d’inconvénients, comme la difficulté à s’organiser par exemple. Des études ont d’ailleurs montré l’intérêt d’une pause sur la santé mentale et la productivité (10), en évitant une saturation cérébrale. Or, bon nombre de télétravailleurs déclarent éprouver des difficultés à faire une pause ou à raccrocher lorsque la journée se termine. Alors qu’il est facile de quitter son bureau ‘physique’ en fin de journée, un sentiment de culpabilité peut apparaître lorsque le bureau perdure à nos côtés. Le télétravailleur doit ainsi apprendre à compartimenter son temps et définir les créneaux de travail et de loisirs. Par exemple, il peut être intéressant de clôturer sa journée de travail par une promenade pour s’oxygéner et marquer la rupture avec son temps de travail.

Bibliographie :

1. Article intitulé « Cyberdépendance ? Une nouvelle forme d’addiction comportementale ? » de J-M. Triffaux, J-B. Desert, A. Lakaye. Année 2013.
2. Thèse intitulée « La cyberdépendance : données de la littérature et résultats d’une étude sur 48 cas » de Dr Benguigui J. Année 2009.
3. Article intitulé « Internet Addiction : does it really exist ? » de M. Griffiths. Année 1998.
4. Article intitulé « Internet : quand l’usage est problématique » de Psychologie Québec. Année 2009.
5. Article intitulé « Internet addiction : a new clinical phenomenon and its consequences » de Young K. S. Année 2004.
6. Article intitulé « Pathologische Mediennutzung bei Kindern und Jugendlichen » Bilke-Hentsch O. Année 2017.
7. Article intitulé « Cyberaddictions : toward a psychosocial perspective » de Amnon Jacob S. Année 2014
8. Article intitulé « Internet addiction : symptoms, evaluation and treatment » de Young K. S. Année 2009
9. Article intitulé « Theory and measurement of generalized problematic Internet use: A two-step approach » de Scott E. Caplan. Année 2010.
10. Article intitulé « Problematic Internet use and psychosocial well-being: development of a theory-based cognitive-behavioral measurement instrument » de Caplan S. E. Année 2002.

Retour en haut